Ségolène dans Charlie Hebdo
Interview Charlie Hebdo
Pourquoi ce projet de loi vous paraît-il inacceptable ?
Parce
que la famille ce n’est pas seulement la filiation biologique, c’est la
reconnaissance de la filiation. En tant qu’ancienne Ministre de la
Famille ayant renforcé l’autorité parentale et fait voter par le
Parlement une loi qui, entre autres dispositions, achevait de
reconnaître l’égalité de tous les enfants, qu’ils soient « légitimes »
ou « naturels », je suis inquiète à l’idée que la France puisse
régresser vers une conception de la filiation où le biologique efface
le lien institué et vécu. La présidente de l’association Enfance et
Familles d’adoption a très bien dit quelle rupture représenterait « la
filiation réduite aux gamettes ». Le Comité national consultatif
d’éthique, que le gouvernement avait oublié de consulter, vient lui
aussi de rappeler que l’exclusivité accordée à la filiation biologique
est contraire à nos valeurs et à nos lois.
Le
débat sur l’utilisation des tests génétiques a eu lieu lors de
l’élaboration et de l’actualisation des lois bio-éthiques. Le
Parlement, toutes étiquettes politiques confondues, avait alors décidé
d’encadrer strictement les tests génétiques et de ne les autoriser que
pour des raisons médicales ou sous le contrôle du juge. Et voilà que le
gouvernement Sarkozy et sa majorité parlementaire sont prêts à
légaliser ce qu’il faut bien appeler un fichage génétique !
Je
sais que, sur ce sujet, l’opinion française est partagée. Mais il faut
bien comprendre combien il serait dangereux de créer un tel précédent.
Car qui nous dit que demain, toujours sous le prétexte d’éradiquer la
fraude, on ne sera pas tenté d’utiliser ces tests pour, par exemple, le
versement des allocations familiales ? Les chercheurs en génétique
estiment que 5% à 10% des filiations réputées biologiques sont en
réalité adultérines. Méfions-nous de l’accoutumance aux contrôles
génétiques par l’Etat…
On
fait croire aux Français que nous serions submergés par une fraude
massive à l’état-civil du fait des défaillances administratives des
pays d’Afrique de l’Ouest. Quelle est la réalité ? Le regroupement
familial, c’est 23.000 personnes par an dont 9.000 enfants et, parmi
eux, moins d’un millier issu de l’Afrique subsaharienne. J’observe
d’ailleurs au passage que c’est sous les derniers gouvernements de
droite que l’immigration de travail a baissé et l’immigration familiale
augmenté. M. Sarkozy s’est fait une spécialité de la multiplication des
lois d’affichage sur l’immigration et la dernière en date en rajoute
encore sans que les moyens ne soient pris d’une coopération en matière
d’état-civil et surtout d’une profonde réforme de l’aide au
développement qui, seule, pourrait tarir les migrations de la misère.
On sait que, d’ici la fin du quiquennat, il y aura au moins deux lois
par an sur ces sujets pour « entretenir la flamme ».
On
fait croire aux Français que les démocraties européennes voisines
recourrent couramment à ces tests. C’est faux. Dans la plupart des
exemples cités, leur utilisation est exceptionnelle et très encadrée.
Cette injonction d’alignement est fallacieuse. Le Commissaire aux
droits de l’homme du Conseil de l’Europe l’a dit sans ambiguité : si la
France adopte cette mesure, elle violera l’article 10 de la Convention
européenne des droits de l’enfant qu’elle a ratifiée en 1990. Ce n’est
pas l’idée que je me fais du « retour de la France en Europe » dont
s’enorgueillit le Président de la République !
Enfin,
comment ne pas humer ici un vilain parfum de récidive ? Un rapport de
M. Benisti, député UMP, préconisait il n’y a pas si longtemps de
traquer chez les enfants de moins de trois ans, en priorité dans les
familles immigrées, le quasi-gène de délinquances à venir. Durant la
campagne électorale, l’actuel Président de la République nous a confié
son intime conviction que la pédophilie, elle aussi, avait une origine
génétique. Et voilà que la parentalité, à son tour, est tirée du côté
du gène. Cela fait beaucoup. On nous dit qu’il faut pouvoir tout
aborder sans tabou. Pourquoi pas ? Mais alors, allons au fond des
choses : l’inquiétante propension du Chef de l’Etat, de son
gouvernement et de sa majorité à naturaliser les problèmes politiques
et sociaux, cette manière d’en pincer à répétition pour le déterminisme
biologique, c’est la pire façon d’y répondre car, pour prix de la
trahison de nos principes fondamentaux, nous récolterons non seulement
l’injustice mais aussi la violence.
Pourquoi, malgré les amendements votés au Sénat, maintenir votre veto ?
Parce
que l’édulcoration de l’amendement de M. Mariani ne change rien à
l’atteinte portée au droit de la filiation. Devant la levée de
boucliers suscitée jusque dans les rangs de la majorité – je pense
notamment à MM. Pinte et Goulard qui ont eu des mots justes pour ne pas
accepter l’inacceptable -, devant la gêne de plusieurs Ministres,
qu’ils soient « d’ouverture » ou non, devant le vote négatif de la
commission des lois du Sénat, devant la protestation des Eglises, des
associations, des syndicats, des scientifiques, alors que les pétitions
de Charlie et de Sauvons la Recherche dépassent les 100.000
signataires, le gouvernement, sans doute pas mécontent, dans un premier
temps, de donner des gages à l’extrême-droite à quelques mois des
municipales, s’est retrouvé quelque peu embarrassé par le tollé.
J’entends
qu’on va d’abord expérimenter, que la vérification biologique se
bornera à la mère, que l’Etat paiera finalement le test : cela ne
change rien à l’affaire. Je le redis avec force : ce n’est pas à l’Etat
de s’immiscer de la sorte dans l’intimité des familles.
Si
la commission mixte paritaire ne fait pas disparaître le fameux
amendement ADN et si le Conseil constitutionnel ne censure pas le
texte, que faire ?
Continuer à expliquer aux Français que, pour eux aussi, ce texte est une menace.
Source : Thomas sur http://www.segolene-royal.org/