GAZA ISRAEL PALESTINE SEGOLENE
Oui, l'arrêt de la guerre est
possible !
Quiconque est aujourd’hui sincèrement attaché aux droits
légitimes des peuples palestinien et israélien – un Etat viable et souverain
pour le premier, une sécurité garantie pour le second – ne peut qu’être atterré
par l’offensive militaire israélienne. Révolté par le calvaire des habitants de
Gaza. Angoissé pour la sûreté à laquelle aspire la population
israélienne.
Il y a deux ans, je me suis rendue à
Gaza et en Israël à la rencontre des dirigeants puis j'ai longuement dialogué
avec des groupes de jeunes étudiants. Des deux cotés, ces jeunes parlaient avec
les mêmes mots, la même passion, le même regard farouche : « On veut faire
naître nos enfants dans un monde en paix et on en a assez de la peur.
»
Aucune victoire militaire de Tsahal ne
garantira la sécurité d’Israël. Est-il possible d'arrêter ce conflit sans fin où
les chances de paix sont périodiquement gâchées, parfois des deux côtés en même
temps, par le choix à répétition de la politique du pire ? Quelle solution
politique, équitable et durable, le permettra ?
Après avoir en équipe écouté, observé et analysé, je vois
plusieurs jalons solides d'une paix juste et durable. Les voici.
Tout d'abord, la supériorité des armes n’a jamais mis à l’abri
d’une défaite politique, elle l’a même parfois hâtée et c’est encore plus vrai
aujourd’hui où l’opinion mondiale, informée comme jamais, voit sur ses écrans le
déluge de feu qui s’abat sur Gaza, cette immense prison à ciel ouvert asphyxiée
par le blocus et quotidiennement pilonnée.
C’est
l’honneur d'Israël que des voix s’élèvent en son sein pour s’opposer à une
guerre qui n’atteindra aucun des objectifs, officiels et officieux, que lui
assigne le gouvernement israélien : ni l’arrêt des tirs de roquette sur les
villes du sud ; ni le démantèlement du Hamas, au contraire installé en fer de
lance de la résistance ; ni même la restauration de la capacité de dissuasion de
l’armée israélienne, ébranlée après l’invasion du Liban ; ni même le message
adressé à l’Iran et au « terrorisme » car les principaux bénéficiaires de cette
opération brutale et, à terme, contre-productive, ne sont ils pas les
djihadistes les plus obtus et les réseaux d’Al Qaida ?
Marek Halter a rencontré à Damas Khaled Mechaal, le chef du
Hamas, à la veille du déclenchement de l’offensive israélienne. Celui-ci lui a
dit, rapporte-t-il, que le Hamas qui prônait jadis dans sa Charte la destruction
pure et simple de l’Etat d’Israël, était aujourd’hui « prêt à un accord sur la
base des frontières de 1967 ». Qu’est-ce que cela signifie ? Une reconnaissance
de facto de ce que le Hamas appelle désormais « l’entité israélienne ». Ce n’est
pas – pas encore – une reconnaissance de droit de l’existence de l’Etat d’Israël
et de son droit à la sécurité mais, dit Marek Halter, « c’est une avancée », qui
rappelle d’ailleurs celle jadis accomplie par l’OLP.
Cette reconnaissance nécessaire, n'est-il pas vain d’en faire un
préalable absolu à toute discussion alors qu’elle devra faire partie du package
si l’on en vient enfin à des négociations sérieuses, équitables parce que
respectueuses des droits des deux peuples et impliquant leurs représentants tels
qu’ils sont et non tels que les uns ou les autres les voudraient a priori
?
L’Europe doit enfin assumer avec force
l’immense responsabilité historique qui est la sienne dans cet interminable
conflit. Un peu d’histoire et de mémoire n’est pas inutile pour remettre les
choses en perspective. Ce sont des persécutions - l’affaire Dreyfus et les
pogroms tsaristes, un crime contre l’humanité - la Shoah, tous perpétrés en
Europe, qui ont conduit tant de survivants à mettre leur seul espoir dans un
Etat-refuge. Ne l’oublions jamais.
Les
Palestiniens peuplaient cette terre réputée « sans peuple pour un peuple sans
terre » et en furent massivement expulsés. Il ne s’agit pas de faire tourner la
roue de l’histoire en arrière mais de ne pas oublier que, colonisations
britannique et française inclues, cette histoire est aussi la
nôtre.
Deux nations se sont constituées dont les
peuples ont aujourd’hui des droits qui doivent être conciliés pour qu’ils
puissent, l’un et l’autre, coexister dans la sécurité et la
dignité.
Trop de pourparlers et d’accords de paix
sont jusqu’à présent allés d’échec en échec, en dépit des rares moments où l’on
s’est pris à espérer que la raison et la justice l’emportent grâce à quelques
responsables suffisamment visionnaires et lucides qui, tous, ont aujourd’hui
disparu et, pour certains, ont été assassinés par les extrémistes de leur camp.
Yitzhak Rabin fut l’un d’eux. Il eut le courage de comprendre que
l’escalade guerrière conduisait à l’impasse politique et que la sécurité
d’Israël, avec laquelle il ne transigeait pas, exigeait une perspective crédible
pour les Palestiniens. Cette « doctrine Rabin » est plus que jamais d’actualité.
Les grandes lignes d’une paix honorable et efficace sont connues, il n’y a rien
à inventer et plus d’alibi derrière lequel se cacher pour, une fois encore, en
détruire les chances.
Pour ses responsabilités
passées et pour sa responsabilité présente dans l’équilibre du monde, l’Europe
doit peser de tout son poids pour que cette guerre de trop qui ne règlera rien
soit enfin la dernière et pour que les enfants de Sdérot et de Gaza aient enfin
droit à une vie normale dans des sociétés qui ne soient plus dominées par la
peur et la haine de l’autre.
L’urgence, c’est
l’arrêt immédiat des hostilités suivi d’un cessez-le-feu durable, avec envoi
d’observateurs ou de forces internationales chargés d’en vérifier le respect.
L’urgence, ce n’est pas seulement, des deux côtés, le silence des armes : c’est
aussi l’arrêt de la colonisation dans les territoires occupés et la levée du
blocus qui a fait de Gaza un immense ghetto paupérisé en proie, avant même
l’intervention militaire israélienne, à une catastrophe humanitaire et sociale,
nourrissant frustrations et colères.
L'urgence,
c’est la mobilisation conjointe et cette fois-ci déterminée de l’Europe et des
Etats-Unis, en liaison avec les pays frontaliers, pour en finir avec
l’immobilisme meurtrier qui, depuis 16 ans, a succédé au processus de Madrid et
aux accords d’Oslo. Force est malheureusement de constater que la mission
confiée par le Quartette à Tony Blair n’a, pour l’instant, rien donné d’autre
qu’un piteux alignement sur les positions de l’administration
Bush.
L’urgence, c’est que chacun comprenne qu’il
n’a pas à choisir ses interlocuteurs dans le camp d’en face mais à prendre, tels
qu’ils sont, ceux qui représentent effectivement les populations concernées. Le
seul préalable à l’ouverture de premières négociations, ce doit être le
cessez-le-feu. Le reste, tout le reste, doit en être l’aboutissement, de la
reconnaissance d’Israël et de son droit à la sécurité aux contours d’un Etat
palestinien souverain et viable.
Trop de temps
perdu, trop de promesses non tenues, trop de malheur de part et d’autres et
trop, aussi, de politiques inéquitables accréditant l’idée ravageuse d’un « deux
poids, deux mesures » dont toujours les mêmes feraient les frais. Il est temps
de stopper ce fol engrenage qui a transformé de jeunes lanceurs de pierres des
Intifadas passées en bombes humaines car sinon, comme l’a très bien dit
l’écrivain franco-libanais Dominique Eddé, « les jeunes oubliés de la vie
seront de plus en plus nombreux à être candidats à la mort ». Non par
fascination nihiliste ou par fanatisme religieux mais par conviction de n’avoir
plus rien à perdre et pas d’autre moyen de faire entendre leur
voix.
Il est temps de comprendre aussi qu’il en
va non seulement de la sécurité d’Israël et de la dignité de la nation
palestinienne mais, plus largement, de l’équilibre et de la sûreté d’un monde où
l’éternisation du conflit israélo-palestinien attise le pire.
Rien ne sert de déplorer « l’importation du conflit » : à l’heure
d’Internet et des medias télévisés globaux, Gaza est dans tous les foyers et
dans toutes les consciences. Les humiliés s’identifient aux humiliés et jugent
sévèrement la légèreté avec laquelle la plupart des gouvernements occidentaux
semblent, dans cette affaire, traiter leurs propres valeurs. Voilà pourquoi ce
qui se joue à Gaza, ce sont aussi nos lendemains à tous car, tôt ou tard,
l’histoire présente toujours l’addition.
C’est
pourquoi j’en appelle à un effort de lucidité historique et de courage politique
de l’Europe, meilleur moyen d'aider Barack Obama à assumer, le jour venu, les
responsabilités politiques qui sont celles de son pays.
Mahmoud Darwich, immense poète palestinien aujourd’hui disparu,
disait s’efforcer d’exprimer « la conscience du perdant ». Il appelait
cela « être un poète troyen », c'est-à-dire ne jamais se contenter du
récit du vainqueur et de la version du plus fort. Il est temps qu’il n’y ait
plus, sur la terre d’Israël et de Palestine, non pas un mais deux perdants,
comme c’est le cas aujourd’hui.La paix, forcément faite de concessions
réciproques, est possible à condition que la justice et l’intelligence du temps
qui est le nôtre soient au rendez-vous.
Car,
comme le dit le grand écrivain israélien, Amos Oz, « la vie, c’est le
compromis. Et l’opposé du compromis, ce n’est pas l’idéalisme, c’est le
fanatisme et la mort ».